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LES DOIGTS DE LA NUIT
texte d'exposition par arkadi lavoie lachapelle

-Reconnaissance
J’aimerais reconnaître que le centre d’artistes le Lobe, où se tient mon exposition se situe sur un territoire non cédé par les nations autochtones qui l’habite depuis des milliers d’années. Je remercie les personnes des communautés innue et atikamekw que j’ai rencontrées tout au long de ma résidence au Saguenay et qui m’ont accueillie avec ouverture et amabilité.

-L’obscur nous crée
« Mais si tu racontes l’horreur sans recréer l’obscur, tu l’alimentes. Tu ne supprimes pas son terreau. Nous devons rêver l’obscur comme processus, rêver l’obscur comme changement, afin de créer une nouvelle image de l’obscur. Car l’obscur nous crée. » — Lauren citée par Starhawk dans Rêver l’obscur, [1982] 2015 p.31.

-Cectew/Shenakanu/Ouvert/24 h
Au Lobe, durant trois semaines, dans l’obscurité d’un fond verdâtre, sont exposés des images et des objets fabriqués avec soin et patience. Il y a aussi une table, des chaises et un lit de camp. Je l’espère un espace aux surprises communautaires, une halte spontanée sans surveillance pour cambrioleurs et cambrioleuses. Confiance, ils et elles ne prendront que le strict nécessaire. Un genre de resto Chez Mammy sans besoin d’acheter. Un guichet sans besoin de retirer. Les églises d’une certaine époque peut-être. On entend parfois que les Musées sont les nouvelles églises. Spacieux espaces chauffés, pourquoi ne pas devenir hospitalier à l’art de la rencontre? « Un art qui, de l’extérieur à l’air de ne rien faire alors qu’il se montre intérieurement si exigeant », comme l’écrit si bien Sylvie Cotton dans L’art est une mère.

-Reliance
« L’histoire de la civilisation patriarcale pourrait être lue comme un effort cumulatif [...] pour séparer l’esprit et la chair, la nature et la culture, l’homme et la femme. [Cette civilisation] imposa la vision mécaniste du monde comme machine inerte. Cette rupture fonde les oppressions inséparables de race, de sexe, de classe, et la destruction écologique. » — Starhawk dans Rêver l’obscur, [1982] 2015, p.29.

-Oiseaux de nuit
Au Saguenay, les oiseaux vivants de nuit sont entre autres le grand-duc d’Amérique, la chouette rayée, la petite nyctale, la nyctale de Tengmalm et la bécasse d’Amérique. En avez-vous déjà vu un?

Bon nombre des travailleurs et travailleuses de nuit prennent soin des lieux et des gens. Leur travail est souvent invisible bien qu’indispensable au bon fonctionnement de nos propres existences.

2 mai 2019. Entrevue avec Patricia, diamant brut. Préposée aux bénéficiaires qui préfère travailler lorsque le soleil se couche. Nous allons la rencontrer en pleine nuit près de son érablière. Autour du comptoir, elle chuchote soudainement : « La nuit, c’est plus tranquille. Souvent on a des confidences, on a plus le temps de s’asseoir sur le bord du lit et de parler avec la Madame qui a peur parce qu’elle s’est fait dire qu’il lui restait une semaine à vivre et qu’elle n’a pas parlé avec son garçon ça fait 20 ans. […] Ça prend quelqu’un pour démarrer, pour faire le déclic. »

Tout récemment, j’ai rencontré une chouette rayée en pleine métropole. Nous nous sommes observées plusieurs secondes. Quel frisson inoubliable. Un animal sauvage acceptant de cohabiter avec un animal humain. Depuis ce temps, je suis à la recherche de ce regard qui « see right through the core of you » comme le dit si bien une amie chère.

-À tous ces oiseaux de nuit, je vous dédie cette exposition.

Mikwetc ki itikwinawaw :
Ninashkumananat :
Nous remercions :
Abel Chachai, Tania Ambroise, les personnes rencontrées au Centre d’amitié autochtone du Saguenay, les membres du personnel du Musée amérindien de Mashteuiatsh, Patricia Savard et Francis Faucher de l’Érablière au pied des Monts-Valin, Catherine Forest, Louis Maltais, Anabel Gravel Chabot, Marie-Andrée Gill, Justine Valtier, Ysé Raoux, le club des ornithologues amateurs du Saguenay-Lac-Saint-Jean, Jacynthe Fortin, Marielle Couture, Sarah Bélanger-Martel, Sarah C. Poirier, Marie-Witchelle LaViolette, Starhawk, Françoise Vergès, Christiane Singer, Sylvie Cotton, la lune, les oiseaux, l’équipe invisible.
Projet artistique de résidence nocturne + exposition presque 24h
réalisé avec le commissaire Hugo Nadeau

Ils vécurent la nuit
et eurent beaucoup d'espace